Par Bruno Lemaire, Secrétaire Général du Club Idées Nation.
Préliminaires : La sortie de l’euro suivie d’une éventuelle dépréciation du « franc nouveau » de 15% par rapport au niveau actuel de l’euro (vis-à-vis du dollar) doit être accompagnée de mesures de protectionnisme intelligent et « raisonné ». Ces mesures peuvent être d’ordre macro-économique, mais aussi micro-économique, au sens où le contrôle de l’Etat peut être ponctuel ou général, incitatif ou plus contraignant sachant qu’en dernière analyse, ce sont les entreprises qui produisent, importent et exportent.
Les mesures proposées, en dehors de s’inscrire dans l’esprit de la charte de la Havane (équilibrage des 3 flux « physiques », capitaux, biens et services), doivent être à la fois simples et compréhensibles par tout un chacun, du chef de grande entreprise à la tête d’une armada de conseillers en tout genre au petit commerçant et artisan, voire de « Monsieur (et Madame) tout le monde ».
Enfin, ce rééquilibrage intelligent peut se faire à plusieurs niveaux, sectoriel, géographique, et temporel.
Sectoriel, par exemple portant sur les télécommunications et l’informatique, ou l’agro-alimentaire, ou la sidérurgie.
Géographique, par exemple pour nos échanges avec l’Extrême Orient ou l’Amérique du Sud
Temporel, par exemple pur permettre à telle ou telle industrie, n’existant quasiment plus (machines-outils, électroménager …) de renaître de ses éventuelles cendres.
Je propose pour ma part deux mesures fondamentales, qui pourront, ou non, être déclinées suivant les trois niveaux esquissés plus haut.
« Droits à importer ».
La première mesure consisterait à instaurer des droits à importer, soit généraux, soit sectoriels, qui seraient négociés soit de gré à gré, soit sur un marché plus ouvert.
Toute entreprise voulant importer devrait donc être munie d’un droit à importer, valable pour un certain volume d’importation, qu’elle se serait procuré soit auprès d’une entreprise exportatrice, soit sur le marché ad hoc.
Ces « droits à importer » bâtis sur le même modèle que les droits à polluer » – du point de vue d’un pays importateur net, l’importation peut d’ailleurs être considéré comme une pollution économique, ou une externalité négative – ne sont pas totalement originaux, puisque certains pays exportateurs de matières premières ont eu recours à ce type de mesures, quoique sous un autre nom, il y a quelques décennies. L’un des conseillers d’Obama lui avait aussi suggéré de telles mesures.
L’avantage d’une telle mesure, en sus de son efficacité potentielle, est d’être de type « entrepreneurial », pour ne pas dire libéral. Dans ce cadre, en effet, l’État, en dehors des informations qu’il peut être amené à transmettre à tel ou tel secteur d’activités sur le montant ,éventuellement sectoriel ou temporel, de ces droits – en fonction des déséquilibres commerciaux fournis par l’INSEE ou d’autres observatoires économiques, – n’a pas, ou n’aura pas, à intervenir dans la « cuisine interne » des entreprises. Ce sont donc des mesures microéconomiques, ou chirurgicales, que toute entreprise peut assimiler rapidement, à la fois dans son application, dans son principe et dans son objectif.
« Récupération restrictive de TVA »
Une deuxième mesure, plus administrative, et administrée, consiste à ventiler, non pas le taux de TVA, mais le taux de récupération de la TVA, en fonction des niveaux souhaités (secteur d’activités, type de biens ou services, géographie, temporalité)
Un exemple éclairera le principe, en partant d’un taux de TVA unique, par exemple 20%.
Le taux de TVA, quel que soit son niveau, n’affecte pas directement les entreprises – autrement que par le fait que le client final, lui, préfère payer 5% de TVA que 20%, bien sûr – puisque toute entreprise est censée pouvoir récupérer entièrement cette TVA, même si le décalage entre paiement et récupération peut affecter sa trésorerie.
Nous proposons de changer ce principe pour les entreprises importatrices, en affectant cette possibilité de récupération d’un certain pourcentage, inférieur à 100%, qui pourrait même, dans certains cas, être négatif.
Prenons un exemple illustratif, pour éclairer ce principe, fort simple lui aussi, même s’il est plus ‘bureaucratique’ que le précédent.
Considérons donc le cas d’un produit vendu hors taxe par un importateur à 100 euros, soit 120 euros avec TVA, disons avec une marge de 15%, soit pour un prix de revient de 85 euros.
Si, sur ce type de marché, un producteur ‘local’, c’est-à-dire établi en France, propose le même produit, hors TVA, à 125 euros, soit, TTC, à 150 euros, ce n’est pas un éventuel label « made in France » qui lui permettra de vendre à ce prix, qui n’est pas compétitif. Et ce ne sera toujours pas le cas, même en supposant que son prix de revient étant de l’ordre de 105 à 110 euros, et que cet exportateur aille jusqu’à annuler complètement sa marge – ce qui, très rapidement ne peut que le conduire à la faillite.
Au contraire, en ayant la possibilité de moduler, pour un importateur, le taux de récupération de la TVA, il en irait tout autrement. Si le taux de récupération de l’importateur, au lieu d’être de 100 % (par rapport à un taux de TVA de 20 %) était ramené à 50 %, ou à 10 %, ou même à 0 % – voire à un taux négatif, dans certains contextes spéciaux – cet importateur serai obligé d’en tenir compte dans son calcul de marge.
Sa marge, supposée initialement de 15 euros, amputée de la non récupération de TVA, de 10, 15, 20 euros, voire plus, pourrait devenir négative, et notre importateur serait alors obligé d’augmenter son prix de vente, et donc de rendre le produit de son concurrent ‘local’ à nouveau compétitif.
L’avantage – ou l’inconvénient – d’une telle mesure, plus administrée et plus ‘fiscalisée’ que celle de l’instauration d’un « droit à importer’ » serait sans doute de permettre aux services de l’Etat de mieux ‘réguler’, voire ‘contrôler’ les flux d’import-export.
Cette mesure, par ailleurs serait complémentaire de la précédente et, comme la précédente, elle aurait le mérite d’être compréhensible de tout entrepreneur, grand ou petit.
Autres mesures possibles.
En dehors des deux premières mesures – qu’il faudra bien sûr préciser et raffiner -, on peut aussi avoir recours à des mesures plus classiques, comme celle de droits de douane ciblées. Mais l’efficacité des deux mesures, associées à une sortie de l’Euro et à une dépréciation raisonnable, 12 à 15%, de notre nouvelle monnaie nationale, devrait être telle que notre industrie et notre commerce international retrouvent une place plus conformes à notre passé récent, celui des Trente glorieuses.
Est-il besoin de préciser que l’Union Européenne, dans sa configuration actuelle, s’opposera de toutes ses forces « libre-échangistes » et TAFTAiennes – pour ne pas dire kafkaiennes – à ce genre de mesures, qui relèvent pourtant du simple bon sens, celui d’un équilibre entre nations.